Avec une population composée de 70% de chiites, le royaume de Bahreïn est une exception dans la péninsule arabique. Cette particularité vient de loin. Contrairement à ce que prétendent de nombreux sunnites, dès l’origine cette contrée se rallia au chiisme et l’influence persane n’en fut pas l’élément fondateur.
A cette exception s’ajoute un paradoxe qui réside dans le fait que ce sont des souverains sunnites qui dirigent Bahreïn. Depuis le XVIIIe siècle en effet, la dynastie des al-Khalifa s’est imposée. Elle est adepte d’un sunnisme rigoureux comme son grand voisin saoudien et exerce un contrôle très attentif sur la population chiite. Cette dernière ne peut que rarement accéder à la fonction publique, jamais dans l’armée ni dans la police. Les volontaires sunnites n’étant pas assez nombreux, le royaume préfère recruter des immigrés, pakistanais notamment, pour combler les manques.
L’histoire de Bahreïn se ressent bien évidemment de cette identité chiite. Si les Britanniques exercèrent leur influence dès le XVIIIe siècle, comme dans le reste de la péninsule, Bahreïn voulut s’en détacher et signa en 1860 un traité d’amitié avec la Perse séparée seulement d’un bras de mer. C’était une protection qui cachait également une ambition réelle, la domination des autres tribus arabes.
Les Anglais virent d’un mauvais œil cette alliance et contraignirent les souverains bahreïniens à la signature d’un traité de paix avec la Grande-Bretagne, assorti de l’interdiction d’attaquer ses voisins.
La découverte du pétrole en 1932 changea bien des choses dans le royaume mais, contrairement à ses voisins, les gisements ne sont pas considérables. Cette malchance est compensée par un atout rare : il y a de l’eau douce sur cette île, ce qui a permis de développer une agriculture performante.
Comme ailleurs, la tutelle anglaise cessa en 1971 lorsque la Grande-Bretagne décida de quitte la région. Elle poussa Bahreïn à rejoindre les négociations avec ses petits voisins afin d’intégrer les Emirats Arabes Unis. Mais, à l’instar du Qatar, le roi se retira du projet et proclama l’indépendance du royaume le 15 août 1971. La prédominance d’Abou Dhabi faisait peur.
Ce souci de liberté, s’est également manifesté dans sa relation avec l’Iran. Cette dernière revendiqua longtemps la possession de cette île qui semblait lui tendre les bras avec sa population chiite majoritaire. Bien évidemment la famille al-Khalifa n’avait nullement l’intention de devenir iranienne et elle fut soutenue par la minorité sunnite mais aussi par la majorité chiite. Cette dernière, en dépit de sa proximité religieuse avec la puissance perse, ne souhaitait pas devenir iranienne, manifestant ainsi un nationalisme arabe certain. Aujourd’hui l’Iran a définitivement cessé de revendiquer Bahreïn.
La vie du royaume fut longtemps occupée par un autre conflit territorial. C’était avec le Qatar et cela concernait la ville historique de Zubarah qui fut longtemps le centre commercial mondial de la perle. La dispute avait commencé dès le XVIIIe siècle et fut tranchée par la Cour Internationale de Justice qui, en 2001 donna raison au Qatar. Bahreïn en conçu une rancœur certaine qui perdure aujourd’hui.
Si les printemps arabes de 2011 touchèrent peu l’Arabie Saoudite, le Qatar ou les EAU, ce ne fut pas le cas au Bahreïn où les chiites crurent y voir l’occasion de manifester leur mécontentement et d’améliorer leur sort.
En effet, non seulement de nombreux emplois publics leur sont fermés, mais un chômage endémique touche les jeunes chiites. Cet état de fait est d’autant moins accepté que sur les 1,3 millions d’habitants que compte le pays, près de la moitié sont des immigrés, généralement sunnites et venant d’Asie. Ils occupent les emplois que lorgnent les jeunes chiites, de moins en moins enclins à accepter cette discrimination.
C’est ainsi que débuta le « Printemps de Manama » (du nom de la capitale) le 14 février 2011. Les forces bahreïniennes tentèrent en vain de déloger les nombreux manifestants de la Place de la Perle occupée pendant plusieurs semaines. Le Conseil Consultatif du Golfe, organisme aujourd’hui moribond qui regroupe l’ensemble des pays de la péninsule arabique, décida une intervention militaire. Environ quatre mille militaires furent envoyés sur place, trois mille saoudiens et mille émiratis.
La répression fut rude. Il y eut des morts et des blessés, sans que l’on connaisse le bilan exact. Par la suite, de nombreuses mosquées chiites furent rasées et des milliers de manifestants chiites licenciés de leurs entreprises.
Des tensions au sein de la dynastie des al-Khalifa sont apparues lors de cette répression. Le roi et le prince héritier étaient enclins au dialogue alors que le premier ministre, oncle du roi, prônait la répression. Compte tenu du contexte général au sein des pays du Golfe, c’est lui qui eut gain de cause.
Bahreïn était donc rentré dans le rang des puissances sunnites solidaires et le prouvera ensuite lors de la crise qui éclata entre l’Arabie Saoudite et le Qatar.
Les tensions entre l’Arabie Saoudite et les EAU d’un côté et le Qatar de l’autre se sont nettement durcies ces dernières années. Les reproches fait au Qatar sont nombreux. Les deux principaux concernent ses liens avec les Frères musulmans, considérés comme terroristes par les Wahhabites (tendance de l’islam saoudien et émirati) et sa proximité supposée avec l’Iran.
En 2017, l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis organisèrent un blocus afin de mettre économiquement à genoux le Qatar. Bahreïn et l’Égypte se joignirent au duo pour former le « quartet » de ce blocus.
L’opération ne connait pas un grand succès mais cela a permis au royaume de Bahreïn de s’arrimer encore plus solidement à son allié saoudien, son seul lien terrestre puisqu’un pont relie les deux pays.
L’alliance avec les États-Unis est également très forte puisque le royaume abrite la base navale de la 5e flotte américaine. Lors de la répression du Printemps de Manama, les Américains n’avaient d’ailleurs protesté que du bout des lèvres, et pour la forme.
Bahreïn est donc aujourd’hui solidement ancré dans le camp américano-wahabite, gage d’une sécurité garantie.