Incorrigible Amérique

Donald Trump pourra dorénavant difficilement concourir pour le prix Nobel de la Paix. Certes, ce prix inutile est largement déconsidéré, atteignant même le grotesque lorsque le jury l’attribua à Barack Obama qui n’avait rien fait pour et qui participa ensuite massivement à l’agression contre la Libye, Etat souverain.

Barack Obama, recevant le prix Nobel de la Paix


Pourtant, il se dit aux Etats-Unis que le président américain en rêve. Oui mais voilà, être aux commandes de la plus grande puissance militaire du monde finit par donner le vertige. Il faut être digne de ses prédécesseurs, assumer la « destinée manifeste », décider qui a le droit d’avoir une force nucléaire, épauler Israël, l’allié consubstantiel au rôle messianique tant mis en avant par les évangéliques américains, soutiens décisifs de Trump.
Alors il a frappé avec l’opération Midnight Hammer (marteau de minuit). Dans la forme avec habileté : les ruses et les leurres furent multiples. Des avions non destinés aux bombardements de l’Iran volaient vers le Pacifique, tandis que sept furtifs B2 traversaient l’Atlantique hors de vue des radars. Des discussions importantes devaient reprendre dimanche 22 juin avec les Iraniens, l’attaque eut lieu quelques heures avant.


Comme le Hamas avait endormi Israël, auquel il doit son ascension, l’Amérique a endormi les mollahs, déjà éprouvés par les bombardements israéliens qui ont anéanti leurs défenses aériennes, à défaut de leurs missiles balistiques d’attaque et de leurs centrifugeuses profondément enterrées. On ne sait pas encore si les fameuses bombes GBU-57 ont explosé suffisamment en profondeur pour détruire le site de Fordo, le plus enterré, mais peu importe, la démonstration est là.


Personne n’aurait parié sur cette décision il y a quelques mois. Trump avait tant critiqué les mauvaises habitudes américaines consistant à intervenir partout, à être le gendarme du monde ce qui coûtait une fortune et à décider quel régime avait le droit de vivre ou quel autre il fallait détruire, que l’on a un peu cru à une évolution salutaire de la géopolitique américaine. Le bilan parlait tellement de lui-même : le désastre des expéditions afghanes, irakiennes, libyennes, le soutien aux islamistes syriens, bosniaques, afghans, le bombardement honteux de la Serbie, l’abandon de multiples alliés comme le Sud-Vietnam, le Cambodge et le Laos, rien n’a marché, rien n’était moral, rien n’était intelligent. Et moins ça marchait, et plus on recommençait. L’écrivain Mark Twain a finement commenté (dès le XIXe siècle) l’amour de l’Amérique pour la guerre : « Dieu a inventé la guerre pour que l’Amérique
apprenne la géographie. »

Convoi militaire lors du repli américain en Irak


L’historien Philippe Conrad a décompté qu’en 249 ans d’existence l’Amérique a organisé plus de 400 interventions dans le monde et n’a été en paix que 20 ans. Trump n’a finalement pas échappé à cet ADN guerrier et impérialiste. On s’en doutait depuis son départ précipité du G7, instance dont il n’a rien à faire et, cette fois, on ne peut que lui donner raison. Notre grand stratège, Emmanuel Macron, se crut obligé de se mettre en avant (une habitude pathologique) en affirmant que Trump partait négocier un cessez-le-feu entre l’Iran et Israël. Il n’en savait rien et s’est fait remettre à sa place comme un enfant :

« Volontairement ou pas, Emmanuel se trompe toujours. » Reconnaissons que c’est assez savoureux. Il faut lire à ce propos l’excellent essai de Thomas Boussion, L’immaturité permanente, pour mieux comprendre le mode de fonctionnement du néant infantile au pouvoir dans notre pays, qui aura du mal à s’en relever. La décision de Trump n’a pas été sans provoquer des réactions chez ses amis. L’ex- journaliste de Fox-News, Tucker Carlson, avait d’emblée durement critiqué les bombardements israéliens et l’éventualité d’une attaque contre l’Iran. Il s’est fait traiter de « dingue » par le président qui l’avait pourtant encensé lorsque Carlson avait réalisé un passionnant entretien avec Vladimir Poutine qui obtint le score peu commun d’un milliard de vues. Steve Bannon, un des idéologues de la branche avancée du Trumpisme a volé au secours de Carlson, en vain. Même Tulsi Gabbard, la directrice du renseignement national, qui a mis en doute l’imminence de la fabrication d’une bombe nucléaire par l’Iran, s’est fait rabrouer : « Je m’en fiche de ce qu’elle dit » a aimablement déclaré Trump.


Pourtant, la question est légitime : voilà 30 ans qu’Israël et les Etats-Unis affirment que l’Iran est proche d’avoir la bombe sans en avancer la moindre preuve. Depuis la manipulation américaine sur les prétendues armes de destruction massive de Saddam Hussein, il pourrait tout de même être permis de s’interroger sur la réalité de la bombe iranienne. Mais non, poser la question, c’est être un ami des Mollahs : le droit à la nuance, à la réflexion équilibrée a disparu du monde occidental. Il faut choisir : entre le Hamas et Israël, entre Khamenei et Netanyahou. Et lorsqu’en Syrie, on ne peut dire ouvertement qu’on est pour les islamistes, il faut au minimum rappeler que Bachar el-Assad, « l’homme qui tue son propre peuple », doit partir. C’est ce qui s’est passé, avec la participation active d’Israël.

Maintenant c’est Al-Qaïda qui est au pouvoir et c’est en effet bien mieux. Pas de débat donc. La Corée du Nord a droit à sa bombe (c’est fait), mais pas l’Iran. Quelle différence ? La Corée est loin d’Israël, tout simplement. Par ailleurs les Soviétiques avaient donné la bombe à l’Inde, alors les Américains l’ont donné au Pakistan. Mais bien sûr il faut faire attention à la prolifération nucléaire. Quant à Israël qui a acquis la bombe dans des conditions assez obscures, il n’accepte aucun traité, aucune inspection de l’AIEA. Ça n’émeut personne, c’est Israël et critiquer cet Etat c’est être antisémite donc il faut se taire. Indépendamment du dossier nucléaire, la petite musique habituelle se fait entendre : il faut que le régime des mollahs tombe. Fort bien, mais comment ? Ils vont partir d’eux- mêmes ? Être renversés par les Iraniens descendus en masse dans la rue ? Non, bien évidemment.

l’Ayatollah Khomeini


Ceux qui font le parallèle avec la révolution islamiste de 1979 où le Shah est parti à cause d’un mouvement populaire, oublient deux faits : il y avait un remplaçant dont le portrait était brandi par des manifestants extrêmement nombreux, l’Ayatollah Khomeini, réfugié en France, à la demande des Américains d’ailleurs. Et puis l’appareil sécuritaire iranien était plus que défaillant.


C’est bien différent dans l’Iran d’aujourd’hui. Qui ira affronter les gardiens de la révolution, 120 000 hommes solidement armés ? Ils ont de plus la mainmise sur des pans entiers de l’économie iranienne. N’espérez pas manger du caviar en Iran, la filière est intégralement confisquée par les gardiens de la révolution qui sont donc fort riches. Le régime est cadenassé et ne semble pas près de tomber, à moins d’une attaque totale des Etats-Unis, comme en Irak. En réalité, ce scénario n’est guère crédible. Si les minorités kurdes, turkmènes ou baloutch applaudiraient, l’écrasante majorité perse se rangerait, par patriotisme, dans le camp des mollahs. Les Américains le savent bien et se contenteront éventuellement de bombarder encore un peu. Comme ça, pour montrer qui est le plus fort.


Il n’y a pas d’alternative au pouvoir théocratique actuel. Sortir de la naphtaline le descendant du Shah réfugié aux Etats-Unis depuis des décennies relève de la plaisanterie.

Alors il faut recommencer à discuter et essayer de faire ce que les Américains ne savent justement pas faire, sortir d’un conflit par le haut en démontrant que ce qu’on a fait était nécessaire et qu’un compromis est maintenant possible. Mais Trump ne peut à la fois soutenir Benjamin Netanyahou dont la stratégie assumée est celle du chaos tout autour d’Israël et faire la paix avec l’Iran. C’est là que la Chine et la Russie peuvent jouer un rôle, mais Trump l’acceptera-t-il ?

Donald Trump et Benyamin Netanyahou, lors d’une rencontre pour « préparer la paix ».

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