C’est comme une rengaine. A intervalle régulier, les dirigeants américains alertent sur le danger imminent d’une invasion de l’Ukraine par la Russie. Personne n’a d’informations fiables et le conditionnel est souvent employé : « Moscou aurait massé 100 000 hommes aux frontières du pays » croit savoir le Figaro du 18 novembre. En lisant l’article, on découvre la source : « à en croire les États-Unis ». Quelle enquête !
Le Monde n’est pas en reste et évoque des mouvements de troupes « inhabituels ». La source est la même : les dirigeants américains dès la fin octobre par le truchement du très objectif Washington Post, devenu l’organe de l’administration Biden. Et le Pentagone prévient : « toute escalade ou mesure agressive serait source de grande inquiétude pour les États-Unis ». Attention, le gendarme du monde fait savoir que l’Ukraine est maintenant sous sa protection. Docilement, les Européens, France et Allemagne en tête, ont relayé la propagande américaine et demandé aux Russes des explications.
Il y a parfois des couacs distrayants dans cette orchestration sensée pourtant être parfaitement rodée. Ainsi, le ministre ukrainien de la défense, peu suspect de russophilie aiguë, a déclaré qu’ « aucun déploiement d’unités, d’armes et d’équipements militaires russes vers la frontière de l’Ukraine n’a été observé ». Si le menacé ne se sent pas menacé, où va-t-on ?
Mais rassurez-vous, tout s’est arrangé. Le 10 novembre, en visite à Washington, le ministre ukrainien des affaires étrangères contredit son collègue de la Défense et affirme que « l’agressivité de la Russie s’est considérablement renforcée ces dernières semaines. » Il ajoute qu’il a obtenu des Américains de « nouveaux éléments » mais qu’il ne peut pas en dire plus car tout cela est secret. Vexé, le ministère de la Défense maintient son analyse. Il faudra envoyer ce ministre à Washington pour lui rappeler les bonnes manières.
Au-delà de cette pathétique désinformation, que cherchent les uns et les autres ? Le conflit dure depuis maintenant 7 ans, et l’Ukraine n’a pas renoncé à reconquérir les provinces séparatistes de l’est, tandis que la Russie, ulcérée par le coup d’État pro-américain de 2013-2014, n’abandonnera pas les séparatistes russophones.
La situation est en réalité plutôt stationnaire côté russe et ses soldats prétendument « massés aux frontières » occupent les bases militaires existantes depuis l’indépendance de l’Ukraine. Des manœuvres y sont régulièrement organisées, revêtant un caractère plus ou moins offensif selon la pression que veut mettre la Russie sur l’occident. Côté ukrainien, il y a eu du neuf avec l’acquisition de drones turcs dont l’un a déjà été utilisé contre les séparatistes. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’une offensive se prépare.
Les Américains sont eux aussi sur la même ligne : désinformer pour faire croire à une menace russe plus forte. Deux avantages à cela : empêcher toute remise en cause des sanctions internationales contre la Russie et renforcer son implantation en Ukraine.
Tout le monde joue sa partition finalement, même l’Europe qui, comme d’habitude, ne sert à rien.