Tout lui réussissait. Depuis la fin du carnage maoïste, la Chine avait retrouvé sagesse et ambition, loin des délires mortifères d’un des plus grands scélérats de l’histoire humaine qui n’en manque pourtant pas.
Deng Xiaoping avait montré la voie (1978-1992) et, après les règnes moins marquants de Jiang Zemin (1992-2002) et Hu Jintao (2002-2012), Xi Jinping devait parachever l’ouvrage et faire de l’Empire du Milieu la première puissance économique du monde. L’apothéose est promise pour 2049, année centenaire de la victoire des troupes communistes sur l’armée du Kuomintang de Tchang Kaïchek. Mais depuis quelques temps la formidable ascension connait des ratés.
C’est Donald Trump qui a lancé l’offensive même si des velléités étaient apparues du temps de Barack Obama. Rompant brutalement avec l’angélisme de plusieurs présidents, il pointa du doigt celui qui voulait dépasser l’Amérique. Il en fit l’ennemi numéro un et dénonça pêle-mêle la dictature communiste, les méthodes commerciales contraires aux règles de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce), les menaces pesant sur Taïwan et bien sûr l’effort militaire gigantesque de la Chine. Des sanctions furent décidées, les Américains adorent ça. Les médias américains puis mondiaux commencèrent à relayer des commentaires critiques et des reportages à charge.
Le temps semblait déjà loin de l’entrée triomphale de la Chine à l’OMC voulue et organisée par les Américains, persuadée que cela la convaincrait de rejoindre le camp glorieux de la démocratie à l’occidentale. Ce concept n’intéressera jamais la Chine mais la naïveté américaine peut-être sans limite. Plusieurs épisodes se sont ensuite succédé alimentant une défiance croissante.
Cela a commencé avec le Covid. Les premiers cas se produisent en Chine. Les vidéos d’un jeune médecin de Wuhan alertant sur l’apparition d’un nouveau virus font le tour du monde au grand dam du pouvoir qui a horreur de ce genre de démonstration. Le médecin sera inquiété, ce que le monde saura puis il mourra du Covid et sa dernière vidéo angoissée sera également vue dans le monde entier.
Les Chinois crurent réussir à effacer ces mauvaises impressions en prenant des mesures draconiennes. Wuhan fut cadenassée, des hôpitaux construits en un temps record et, au bout de quelques mois, les dirigeants affirmèrent que le virus était vaincu. C’était aller un peu vite en besogne et, régulièrement, de nouveaux cas apparaissent provoquant à chaque fois des confinements d’une implacable rigueur. La Chine tient à sa stratégie absurde du zéro Covid, on ne la savait pas si soucieuse des vies humaines …
Tout cela ne serait pas si grave si la rumeur de la responsabilité chinoise non dans la propagation du virus mais dans sa création elle-même n’avait irrémédiablement enflé. Les thèses les plus farfelues circulèrent, accablant même le malheureux et innocent pangolin, mais l’accident de laboratoire reste malgré tout une hypothèse tout à fait envisageable. Le refus chinois de laisser enquêter librement des experts de l’OMS, fort prévisible d’ailleurs, ne fit qu’ajouter à la suspicion. Et le développement de son propre vaccin, nécessaire à la fierté chinoise, se révèle moins prometteur que prévu.
Puis survinrent les évènements de Hong Kong. L’Angleterre a rétrocédé cette colonie à la Chine en 1997. Le principe « un pays, deux systèmes » que la Chine avait promis d’appliquer jusqu’en 2047 a finalement volé en éclat. Une nouvelle loi sur « la sécurité nationale » s’appliquant particulièrement à Hong Kong a entraîné l’arrestation de nombreux opposants tout au long de l’année 2021. L’autonomie implicite de la ville n’existe plus. Le monde entier a protesté puis a oublié.
Les Ouïgours en revanche font l’objet d’attentions particulières des pays occidentaux. Ces derniers ne se sont jamais émus des persécutions dont les chrétiens faisaient l’objet, mais la répression contre les Ouïgours musulmans a fort logiquement courroucé nos élites dont on connait bien les priorités.
Rappelons tout de même que ces malheureux persécutés comptent de très nombreux islamistes dans leurs rangs et qu’ils ont commis des attentats sanglants contre des policiers et des fonctionnaires chinois. Plusieurs milliers d’entre eux sont même allés faire le djihad en Syrie et ils sont nombreux à être encore là-bas à l’abri de la poche d’Idleb co-gérée par la Turquie et l’ex Front al-Nosra rebaptisé Hayat Tahrir al-Cham.
Pendant des années la répression chinoise contre les Ouïghours, tout de même assez prévisible, n’a ému personne mais les temps ont changé. L’Amérique ayant fait de la Chine son ennemi numéro 1bis avec la Russie, l’Europe a docilement emboité le pas et nos médias rivalisent de reportages et d’articles indignés sur la communauté musulmane chinoise. Une qualification de génocide a même été votée le 20 janvier par l’Assemblée nationale ce qui est tout de même un peu étrange.
L’implantation chinoise dans le monde par le biais ou non des nouvelles routes de la soie connaît également des ratés. De nombreux projets, souvent grandioses, sont en panne faute de financement. Plus grave encore, de nombreux pays ont contracté auprès de Pékin de lourds emprunts qu’ils peinent à rembourser. Ainsi, le Sri Lanka, financièrement étranglé, a dû céder à la Chine son port de Hambantota pour 99 ans et le Laos sa principale compagnie d’électricité.
Ce que l’on appelle pudiquement « la diplomatie de la dette » suscite de plus en plus de réserves. Le Monténégro qui avait accepté la construction par des entreprises chinoise d’une autoroute très coûteuse est aujourd’hui en quasi-cessation de paiement et l’autoroute s’est arrêtée au bout de 40 kilomètres. D’autres exemples abondent en Afrique notamment.
Il est assez difficile de comprendre pourquoi Xi laisse faire alors que cela ne fait que retarder l’ascension de la Chine.
Peut-être faut-il relier ces manques à une volonté de se recentrer sur la Chine elle-même. Sans bien sûr renoncer à une expansion devenue intrinsèque au système, on peut envisager une volonté de réduire quelque peu la voilure pour éviter la surchauffe.
La dette de la Chine a beaucoup augmenté ces dernières années et lier le développement économique à la seule croissance ne peut pas être une solution pérenne. De nombreuses faiblesses structurelles subsistent, ce que Xi a parfaitement compris. C’est ce qui explique sa reprise en main tant économique que politique.
Plusieurs hommes d’affaires aux excès avérés ont été inquiétés, d’autres ont dû renoncer à des projets d’expansion jugés excessifs. La faillite d’Evergrande, le géant immobilier, est le signal le plus emblématique des aventures auxquelles les dirigeants chinois veulent mettre un terme. Une pause en quelque sorte.
Parallèlement, il faut rester vigilant face à d’éventuels mouvements sociaux que l’on sent possible. Le peuple chinois est en grande partie sorti de la misère et n’a plus vraiment l’intention de se serrer la ceinture. Le nationalisme, très présent, ne suffit pas et il faut l’adjoindre de perspectives d’enrichissement tangibles. D’où une certaine prudence couplée avec un contrôle très strict de la parole.
Internet est scrutée de près, les jeux vidéos très contrôlés (les jeunes de moins de 18 ans n’ont maintenant plus le droit de jouer à des jeux vidéos plus de trois heures par semaine) mais il ne faut pas croire que cela peut susciter une révolte. Il en faudrait beaucoup plus.
Le pacte tient toujours, la Chine veut devenir numéro un, ce dont les Chinois sont très fiers. Mais ce qui ressemblait à une marche triomphale s’apparente maintenant à un parcours complexe semé d’embûches.
Il est évidemment difficile à ce stade de prévoir la gravité de la remise en cause des grands projets, tant à l’extérieur avec les nouvelles routes de la soie, qu’à l’intérieur avec une consolidation de croissance qui s’annonce complexe.
En attendant, les jeux olympiques d’hiver prévus du 4 au 20 février 2022 à Pékin auraient pu permettre à la Chine de se montrer sous un jour favorable car l’organisation aurait été sans nul doute parfaite sans la stratégie du zéro covid. Les tribunes seront vides et les tests incessants. De plus, les États-Unis ont décidé d’humilier un peu leur concurrent et le petit club moralisateur anglo-saxon (États-Unis, Royaume Uni, Australie et Canada) enverra ses athlètes mais pas de dirigeants politiques pour protester contre les violations des droits de l’homme en Chine.
Le fossé se creuse.