Tous les galonnés en retraite qui se succèdent sur les plateaux de télévision tiennent le même discours : les opérations militaires ne se passent pas comme prévu, l’armée russe est en difficulté, ses pertes sont énormes, Poutine a sous-estimé l’armée ukrainienne, etc
Passons sur le côté comique de répétition et rappelons juste que ces « vérités » assénées sont actuellement tout à fait invérifiables. D’autant que seules les sources ukrainiennes sont reprises en boucle. Les « héros » de l’île aux serpents ou les « 1 000 morts » du théâtre de Marioupol annoncés par Zelenski lui-même devraient pourtant inciter à plus de prudence. Mais nous sommes dans la dictature de l’émotion, dans un manichéisme typiquement occidental qui nous rappelle les grandes heures de la Syrie ou du Kosovo. Faut-il rappeler que c’est à la fin d’une guerre que l’on sait qui l’a gagnée ?
Il y aurait cependant plusieurs débats stratégiques à tenir et rares sont ceux qui s’y engagent mais il y en a.
Certains pensent ainsi que les Américains ont en quelque sorte attiré la Russie dans le piège ukrainien non seulement pour l’affaiblir mais aussi pour raffermir l’OTAN et ressouder l’Europe derrière elle.
Il est vrai que depuis des années (2007 et le discours de Munich de Poutine par exemple), la Russie attire l’attention des occidentaux sur sa préoccupation concernant l’Ukraine et la Géorgie. Bien des dirigeants russes ont rappelé que l’adhésion à l’OTAN de ces pays serait une ligne rouge inacceptable. Contrairement à ce que l’on peut penser aujourd’hui, les Européens étaient parfaitement conscients de ce problème et souhaitaient le résoudre à l’amiable.
Dans le Figaro du 26 mars, Maurice Gourdault-Montagne, ancien conseiller diplomatique de Jacques Chirac, raconte : « Des occasions ont été manquées. Par exemple fin 2006 Jacques Chirac m’avait envoyé à Moscou pour présenter l’esquisse d’un plan consistant en une protection croisée de l’Ukraine par la Russie et l’OTAN. Cela aurait été une manière de faire de l’Ukraine un pays neutre garanti dans ses frontières. Le conseiller diplomatique de Poutine s’était montré très intéressé, y voyant le règlement de la situation de la flotte de Sébastopol, basée en Crimée ukrainienne, garantissant à la Russie un accès aux mers chaudes. Condoleeza Rice, secrétaire d’Etat du président Bush à qui j’en parlais un peu plus tard me répliqua sans ambages que « la France n’avait pas à bloquer l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie ».
La France pourtant, dès l’année suivante et aidée de l’Allemagne, bloquera cette adhésion lors du sommet de Bucarest.
Les Etats-Unis se sont acharnés dans cette voie, malgré les multiples avertissements russes. Comme si, au fond, ils souhaitaient le déroulement du scénario actuel. Il est d’ailleurs symptomatique que durant tout l’automne, alors que les Européens ne croyaient pas à l’invasion russe, les Américains répétaient que la Russie envahirait l’Ukraine. Certitude ou intox se demandait-on à l’époque ? Et pour bien enfoncer le clou, de rappeler à plusieurs reprises que ce n’est pas à la Russie de « décider qui adhère ou non à l’OTAN ».
Lorsqu’en septembre 2020 le président Zelenski affirme que la stratégie de sécurité nationale de l’Ukraine prévoit l’adhésion de son pays à l’OTAN, confirmant d’ailleurs un vote du parlement de juin 2017, que croit-on qu’il puisse se passer ?
« Poutine n’est pas fou » rappelle Gourdault-Montagne. Il a en réalité estimé que les intérêts vitaux de son pays étaient menacés, ce que savaient bien les Américains.
Est-ce un piège pour autant ? L’avenir le dira et c’est loin d’être certain mais en attendant l’Amérique livre de plus en plus d’armes à l’Ukraine, comme pour faire durer le plaisir.
Biden a encore annoncé de nouvelles livraisons, notamment d’armes lourdes. Et les Russes ont averti « des conséquences imprévisibles » que cela pourrait avoir.
L’Amérique cherche la guerre et l’Europe ferait mieux de chercher la paix au lieu de courir derrière son maître.