La démocratie américaine connaît une crise majeure. Un climat de guerre civile y règne sur fond de vague woke terrorisant ses adversaires. Le système électoral, totalement archaïque et opaque, autorise toutes les suspicions. Les électeurs trumpistes, des « gens déplorables », refusent de voir mourir leur Amérique tandis que les élites ont adopté une nouvelle religion qui doit remplacer le vieux socle protestant.
Depuis l’élection de Donald Trump en 2016, l’Amérique s’est divisée en deux camps qui s’invectivent, se haïssent et ne se côtoient plus. D’un côté, il y a le parti du bien : les intellectuels, les journalistes, les universités, les libéraux et libertaires des « côtes », est et ouest. De l’autre, le petit peuple blanc du centre complété par des bastions conservateurs comme le Texas, moins blanc celui-là. Clairement, l’appartenance à un camp a remplacé l’appartenance à un pays, ce qui est l’exact contraire de toute l’histoire américaine.
Les médias, presque totalement acquis au premier camp, ont fait de Trump le responsable de cette situation qui fracture l’Amérique comme elle ne l’a jamais été. Chacun sait qu’il n’en n’est rien : l’élection de Donald Trump n’a été que le révélateur d’une situation qui couvait depuis bien longtemps. La désindustrialisation, la crise financière de 2008, l’invasion fulgurante du wokisme et des théories du genre ont mis de côté une Amérique qui, en 2016, a trouvé son champion, celui qui la défendait et la comprenait.
Ce phénomène fondamental n’a pas été perçu par les élites, trop occupées à s’enrichir grâce à la marche triomphale de la mondialisation et à la suprématie totale de l’Empire américain. La rancœur couvait pourtant. Obama et son administration ont déployé une énergie considérable pour sauver Wall Street en 2008 mais ont laissé des millions d’Américains se faire saisir leurs maisons et entrer dans l’ère de la pauvreté. L’immigration massive venant d’Amérique centrale ou latine a engendré une inquiétude grandissante chez ceux qui sont le socle historique de l’Amérique. Marqués par un protestantisme souvent rigoureux, persuadés de « la destinée manifeste » dont ils sont les héritiers, ces petits blancs exècrent ces vents nouveaux qui leur semblent diaboliques et ne veulent pas disparaître dans les poubelles de l’histoire.
Assommés par l’élection surprise de Trump, les élites ont déclenché pendant quatre ans une guerre qui n’a laissé aucune place au compromis, y compris parlementaire ce qui est tout à fait nouveau. Elles étaient encouragées par le mépris abyssal dont les dirigeants démocrates faisaient preuve à l’égard de leurs adversaires : les gens qui soutiennent Trump sont « déplorables » n’a pas craint d’affirmer la délicieuse Hillary Clinton.
Les médias ont été les chefs de file de cette croisade du bien : « Certains jours, le Washington Post publia plus de douze articles sur Trump contre seulement un ou deux sur le reste du pays » (Le Monde Diplomatique, mars 2021). Une sorte de « fureur idéologique » s’est emparée de l’Amérique (Le Figaro, 25/09/2020).
FUREUR IDÉOLOGIQUE ET WOKISME TRIOMPHANT
Cette fureur s’est, aussitôt après l’élection de Trump, traduite par la non-reconnaissance de la légitimité de sa victoire. Trop prudents pour remettre en cause le décompte des votes (il ne faut surtout pas ouvrir la boîte de Pandore), les démocrates se sont activement lancés dans des tentatives de procédures d’impeachment qui n’ont jamais eu l’ombre d’une chance d’aboutir. Le principal grief était la supposée interférence de Moscou dans la campagne électorale, le « Russiegate ». Pendant des années les médias ont alimenté le feuilleton et la montagne a finalement accouché d’une souris : le Rapport Mueller a conclu qu’il n’y avait rien. Cela n’a pas empêché certains journalistes de décrocher le Prix Pullitzer pour des enquêtes finalement erronées : comme le Goncourt ou le Nobel, le Pullitzer est depuis longtemps la marque du néant accaparée par la bien-pensance.
Dans ce contexte, la vague woke a pris une ampleur incroyable et a submergé la plupart des universités américaines. Des professeurs ont été renvoyés (Evergreen, Georgetown) pour des motifs surréalistes, d’autres ont été harcelés et ont préféré démissionner, tous doivent suivre des cours de remise à niveau idéologique. Les injonctions les plus baroques se sont multipliées, l’auto-censure bride toute parole publique. Un parlementaire a même conclu une prière publique par Amen et Awomen. Il fallait y penser…
Tout cela a évidemment été accompagnée de violences multiples, surtout après l’affaire George Floyd, ce noir tué par un policier blanc, et le développement du mouvement Black Lives Mater. Des groupes de militants ont chassé des étudiants coupables de ne pas baisser la tête ou de ne pas plier le genou, d’autres ont envahi des restaurants (comme à Washington) obligeant les clients blancs à lever le poing. Le paroxysme a été atteint à Portland, dont le centre-ville a été occupé pendant des semaines par des militants anti-racistes et wokistes. La terreur a régné sur la ville en toute impunité.
Cette « polarisation de l’opinion » est telle que des Américains quittent leur région pour s’installer sur des terres plus hospitalières. De nombreux électeurs trumpistes quittent la Californie, devenue étouffante, pour s’installer en Idaho ou plus loin au Texas. Changer de vie pour changer de voisins, cela en dit long sur la volonté de ne plus vivre ensemble.
Pour accompagner tout cela, les médias se sont mis en ordre de marche comme jamais. Ce n’est pas une surprise : 95% de la presse et de la télévision ont soutenu Clinton puis Biden contre Trump. Mais ils sont allés très loin, la palme revenant au New-York Times qui a publié en 2019 un manifeste (le projet 1619) dans lequel il affirme que l’histoire américaine est fondée sur la racisme et l’esclavagisme. Cette vision est aujourd’hui enseignée dans de très nombreuses écoles à travers tout le pays.
L’élection de Biden, censée apaiser l’ambiance selon les médias américains et européens, n’a rien changé, bien au contraire. Le doux Biden, dans une de ses phases de lucidité, a déclaré en janvier 2022 : « Choisissons-nous la démocratie plutôt que l’autocratie, la lumière plutôt que les ombres, la justice plutôt que l’injustice ? ». Nous sommes bien loin d’un Président « de tous les Américains ». Il est vrai que pour le camp du bien, ceux d’en face sont « déplorables ».
LE VOTE SOUS LE SIGNE DU DÉSORDRE ET DE L’OPACITÉ
Bien évidemment, les doutes autour de la véracité des comptages du scrutin de 2020 qui a vu la victoire de Biden d’une courte tête, ont terriblement envenimé les choses. La fameuse invasion du Capitole le 6 janvier 2021, loin d’être une tentative de coup d’État, n’est autre que le symbole de l’exaspération d’un peuple (la moitié de l’Amérique), persuadé de s’être fait voler la victoire.
Les arguments ne manquent certes pas pour mettre en cause le résultat du vote. Le système électoral américain est en effet d’un invraisemblable archaïsme désordonné, sans parler de son opacité. Chaque État a sa propre procédure, voire plusieurs car cela peut changer d’un comté à l’autre. On peut voter par anticipation ou non, plusieurs jours après, le nombre de jours étant extrêmement variable, par correspondance avec autorisation pour des militants de parcourir les immeubles à la recherche de bulletins (qui les remplit ?). Les machines électroniques ne sont pas toujours les mêmes et, dans bien des cas, l’électeur ne peut lire le résultat de son vote après avoir appuyé sur le bouton. Certains ont affirmé avoir lu Biden après avoir appuyé sur le bouton Trump. Et que dire de ces bulletins perforés, plus ou moins bien, autorisant toutes les interprétations. La cerise sur le gâteau étant l’absence de contrôle d’identité dans bien des votes par correspondance.
Lorsqu’on sait que Trump avait partie gagnée avant le décompte des votes par correspondance qui ont, dans certains bureaux, donné 90% des voix à Biden, la suspicion est bien légitime.
Tout cela n’est pas nouveau certes. Certains spécialistes de l’Amérique affirment que Kennedy avait déjà volé son élection en 1960… Dans son livre Un homme, un vote ? (Édition du Rocher, 2007), Jacques Heers raconte l’élection de 2000 : « On a compté et recompté. Pendant des jours, les journaux ont publié des photos où l’on voyait un scrutateur, perplexe et circonspect, occupé à examiner très soigneusement un bulletin, tenu délicatement entre ses doigts, face à la lumière, pour dire si un confetti à demi-détaché devait compter ou non pour une perforation. On n’en sortait pas. Chaque jour les chiffres changeaient. Les juges de la Cour suprême eurent le dernier mot et, par cinq voix contre quatre, déclarèrent que Bush l’emportait en Floride. »
La différence avec l’époque actuelle, c’est que personne ne contesta ensuite la légitimité de Kennedy ou de Bush. Ce ne fut pas le cas pour Donald Trump, et c’est la grande nouveauté. Biden est aujourd’hui dans le même sac pour l’électeur trumpiste.
Aujourd’hui les Américains n’ont plus confiance et ils ne sont plus que 50% à être fiers de la façon dont fonctionne leur démocratie contre 90% en 2002.
Les réseaux sociaux de leur côté ont joué leur partition guerrière avec Twitter comme symbole qui expulsa Trump. Son rachat par Elon Musk et le renvoi de la moitié de ses employés marque un tournant important et les théories du genre ont perdu un fidèle relais.
Malgré la victoire des progressistes, la haine est toujours là. La revue Forbes par exemple a demandé aux entreprises, sous peine de dénonciation, de ne pas embaucher d’anciens membres de l’administration Trump après leur éviction conforme au spoil system.
UNE NOUVELLE RELIGION
Mais d’où vient ce vent de folie qui a fait d’une grande partie de la jeunesse américaine des propagandistes acharnés du wokisme ou du Black Lives Mater ?
Interrogé par le Figaro(25/09/2020) Joseph Bottum, professeur d’université, avance une grille d’analyse intéressante. Pour lui l’effondrement du protestantisme, notamment dans les zones urbaines, a laissé la place à un post-protestantisme dont les adeptes sont des nouveaux puritains sans Dieu qui pratiquent la religion de la culture woke. Une partie des fidèles de ces églises protestantes qui furent le socle de l’Amérique ont rejoint les évangéliques ou les catholiques, mais la plupart sont devenus des post-protestants qui ont inventé des nouveaux péchés : le racisme, l’intolérance, les atteintes à l’environnement, l’oppression. Et de conclure joliment : « Nous avons maintenant une église du Christ sans le Christ. Cela veut dire qu’il n’y a pas de pardon possible. » D’où cette ambiance de guerre civile « à feux doux ».
Dans leur aveuglement idéologique, presque religieux donc, les progressistes veulent réduire leurs adversaires à de petits blancs racistes et aigris. La réalité est toute autre : en 2020, Trump a perdu des électeurs blancs mais en a gagné dans les communautés noires et surtout hispaniques. Ainsi, Juan Ciscomani, fils d’immigrés mexicains et candidat républicain victorieux en Arizona a bâti sa campagne sur la destruction du rêve américain par Biden et Pelosi, coupables de laisser entrer une immigration excessive et de permettre aux écoles de ne plus enseigner « les bons côtés de l’Amérique ».
Cette crise identitaire et religieuse se conjugue toujours avec une crise sociale. Certes, elle a commencé il y a bien longtemps mais elle prend une tournure inattendue depuis le covid. Ce n’est pas un hasard si les Américains ont eu un nombre important de morts, et Trump n’y est pour rien même si cela lui a sans doute coûté l’élection.
Les Américains sont en mauvaise santé. De 2014 à2022, ils ont perdu trois ans d’espérance de vie : les overdoses d’opioïdes et l’obésité font des ravages. On estime que 40% des adultes américains sont obèses et beaucoup, affaiblis, sont morts du covid. Mais le débat est impossible : la peur d’être taxé de grossophobe empêche la parole. La situation est si grave que l’armée a averti que 2021 avait été l’année la plus difficile de son histoire pour le recrutement des marines : les jeunes ne réussissent plus les tests physiques.
Ainsi, comme dit le New York Times, qui y a largement contribué, les Américains « vivent dans une nation cassée ». Le consensus, provisoire, sur l’Ukraine n’y change rien : c’est à l’intérieur que le ver est dans le fruit.
L’Amérique vit un climat de guerre civile, « à feu doux » certes, mais la haine est palpable.